dimanche 7 juin 2015

Entretien avec les étudiantes de l'IEP de Toulouse, autour de leur atelier de sociologie qui a abordé la question de la mémoire des migrants chez les réfugiés syriens et espagnols à Toulouse 

 

Merci à Fanny Collard, Marie Anière, Coralie-Anne Ramdiale et Judith Bligny-Truchot d'avoir accepté de répondre à nos questions.
Entretien réalisé par Rawa Pichetto.
7 juin 2015


1- Vous avez récemment mené une étude de sociologie dans le cadre de vos recherches, autour de la mémoire des migrants. Vous avez choisi, avec les migrants espagnols, les réfugiés syriens. Pourquoi ce choix ? 

Fanny Collard : La question de la mémoire des migrants, et plus précisément des réfugiés politiques nous semblait intéressante car elle est souvent marquée par un sentiment d'exil, un départ brutal et non préparé à l'avance du pays d'origine. La mémoire des Syriens nous intéressait d'autant plus car cette dernière est récente, en construction. De plus, ce choix témoigne d'une volonté de meilleure compréhension de la situation dans ce pays et du peuple syrien, situation qui a fait l'actualité mais paraît aujourd'hui de plus en plus occultée ou déformée par les médias.

Marie Anière
 : Tout d’abord car c’est un conflit contemporain qui a de nombreuses répercussions. La récente migration syrienne semble être un terrain d’étude relativement inexploité, alors que l’étude sociologique peut permettre de rendre compte des trajectoires des individus et à terme de la situation actuelle. En étudiant le cas des réfugiés syriens, j’avais pour ambition de reconstituer au travers les récits des réfugiés les étapes d’un conflit complexe et de confronter les différents vécus afin d’avoir une idée de ce qu’est la migration politique dans ce contexte. Au-delà de cette volonté , le cas syrien m’a toujours particulièrement touchée, notamment après des projections au cinéma ABC. Cette enquête était l’occasion d’en savoir plus et de contribuer, à notre échelle, à la connaissance sociologique du dossier.

Coralie-Anne Ramdiale : Nous avons pensé assez intuitivement aux réfugiés syriens parce que c’est un sujet d’actualité. Plus particulièrement, je me suis dis que cela serait une façon de mieux comprendre le sujet épineux qu’est le conflit syrien.

Judith Bligny-Truchot : Nous avons choisi  de mener notre étude sur les migrants espagnols et les réfugiés syriens afin d'avoir deux approches de la mémoire, la mémoire du départ pour les Syriens, et la mémoire de l'arrivée pour les Espagnols. Nous avons choisi ces deux cultures pour des raisons différentes. En effet, la situation syrienne est au cœur de l'actualité de nos jours tandis que les réfugiés espagnols représentent une grande communauté à Toulouse.


2- Vous étiez parties d'un support théorique vers le terrain. Qu'est-ce que vous pouvez en dire ? Est-ce que le terrain a suffisamment illustré les théories sur lesquelles vous vous étiez appuyées ?


F. C. : Le terrain a effectivement illustré de nombreuses théories grâce auxquelles nous avons pu exploiter les entretiens (c'est le cas pour les théories d'A. Sayad ou de M.Halbwachs en particulier sur les migrations et la mémoire collective.). Cependant, le concept est une version généraliste et simplifiée de la réalité, la dimension personnelle de chaque histoire de vie et la spécificité du cas syrien sont à prendre en considération.

M. A. : Oui, il était même très troublant pendant certains entretiens de réaliser à quel point les parallèles étaient forts. De fois, les dires des enquêtés, leurs ressentis ou la manière dont ils mettaient en récit rentraient en total écho avec des concepts que certains sociologues avaient forgés. C’était intéressant de réaliser à quel point une expérience, malgré sa part de conjoncturel, renvoie à des régularités qui recoupent grand nombre de migrations politiques. Le terrain a donc été une source illustrative riche, mais il nous a aussi posé de nouveaux questionnements, des pistes de recherche qui n’ont pu être approfondies ou abordées par manque de temps. C’est en réalisant l’enquête que celle-ci prend de nouvelles formes et directions, que nos questionnements et analyses s’affinent en fonction de ce que l’on considère comme important dans les récits ou dans les caractéristiques sociales des enquêtés. Ainsi, le terrain et la théorie se complètent, dans une sorte de cercle vertueux .

C-A. R. : Nous nous sommes appuyés sur des théories comme celle de la rupture biographique et de la distanciation spatio-temporel. Ces théories s’appliquent à la situation de l’exil et collent avec le sujet que nous avions ; nous voulions comprendre comment le départ de Syrie et l’arrivée dans la ville de Toulouse a été vécu et ressenti. Le terrain a confirmé nos hypothèses de départ. Nous avons en effet été surprises que les enquêtés nous racontent spontanément des anecdotes qui illustraient totalement nos hypothèses.

J. BT. : Le terrain a en effet permis d'étayer et de confirmer les concepts que nous avons choisis d'utiliser pour notre étude sociologique sur les migrants. Il a en effet permis de mieux comprendre ce que les sociologues pouvaient entendre par leurs concepts.


3- Dans votre étude, vous mentionnez le terme «  entretiens semi-directifs ». Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que cela signifie exactement ?


F. C. :Un entretien semi-directif consiste à poser des questions assez ouvertes et larges de manière à laisser libre-cours à l'enquêté dans ses réponses (à la différence du questionnaire utilisé en sociologie par exemple), tout en l'orientant sur des thèmes prédéfinis. Cela permet de guider l'enquêté tout en le laissant évoquer ce qu'il souhaite. C'est aussi l'occasion d'approfondir certains sujets en reposant une question plus précise, que nous n'avions pas forcément préparés à l'avance.

M. A. : Un entretien semi-directif est un entretien préparé à l’avance ( certaines questions sont écrites), où l’enquêteur sait « où il veut en venir », c’est-à-dire qu’il a des pistes théoriques et des questionnements particuliers, mais il n’impose pas cette grille unilatéralement et laisse l’enquêté s’exprimer librement. En d’autres termes, l’entretien est élaboré dans les grandes lignes mais c’est dans et par le récit de l’enquêté, les soubresauts propres à chaque trajectoire, chaque individu, que se forge l’entretien. L’entretien est fait en fonction de l’enquêté, c’est à lui de raconter son histoire, et même si les questions orientent et structurent l’entretien, c’est le récit de l’enquêté qui est la véritable matière première sur laquelle l’enquêteur adapte ses questions. L’entretien semi-directif est donc un équilibre.

C-A. R. : Il existe plusieurs types d’entretien, le directif par exemple qui consiste uniquement à du « question- réponse ». Nous avons fait le choix du semi directif car nous avons pensé que cela permettrait plus de liberté, et que cela atténuerait le stress des enquêtés. Lors d’un entretien semi-directif, la personne qui mène l’entretien n’a qu’une grille de questions, c’est à dire seulement des grands thèmes qu’elle souhaite aborder. L’entretien se déroule entièrement avec la participation de l’enquêté ; en effet, on laisse l’enquêté nous raconter diverses expériences par rapport à un grand thème que l’on pose, et on rebondit sur ce qu’il dit. Cette méthode s’apparente plus à une discussion et permet à tous les participants d’être plus à l’aise


4- En dehors du cadre de votre recherche, est-ce que ces entretiens vous ont apporté quelque chose sur le plan personnel, humain, etc. ?


F. C. : Ces entretiens m'ont énormément apporté sur le plan personnel, car c'était une expérience humaine très riche. Après avoir écouté attentivement ces témoignages, il est impossible de ne pas se sentir impliquée dans les évènements en Syrie. Ces entretiens ont aussi décuplé mon intérêt pour le peuple syrien, ce pays et sa culture. Ils m'ont aussi donné l'envie d'orienter mon projet professionnel vers la question de l'aide aux réfugiés et aux migrants (dont on a une toute autre vision grâce à la perspective sociologique, car dans le pays d'accueil, les migrants sont traités indépendamment de leurs racines, de leur passé. On pense toujours à l'immigration et on oublie souvent l'histoire de l'émigration, du départ. Je pense que la majorité des personnes ne réalisent pas le déracinement et la difficulté d'un tel départ.)

M. A. : Oui ! après chaque entretien, il était difficile de ne pas être chamboulé. J’avais cette impression d’être deux individus à la fois : le sociologue concentré qui tente de démêler ce qu’il vient d’entendre, et la personne profondément touchée. Ces entretiens m’ont donné envie de réaliser des stages dans des organisations internationales relatives à la question des migrations.

C-A. R. : Personnellement cela m’a beaucoup apporté. Les rencontres que nous avons faites sont uniques. De plus toutes les personnes que nous interviewées ont partagé avec nous des choses personnelles, des expériences difficiles. À la fin de chaque entretien j’avais le sentiment qu’il fallait que je parle autour de moi du conflit syrien. Après le premier entretien j’avais été particulièrement touchée. Humainement cela m’a fait prendre plus conscience des inégalités qui existent et de la chance que j’ai de vivre dans un pays démocratique. La volonté et la ténacité des personnes que nous avons rencontrées sont des sources d’inspiration pour moi.

J. BT. : Ces entretiens ont été aussi enrichissant sur le plan humain qu'ils ont été durs sur le plan psychologique, mais c'est assez dur de mettre des mots sur en quoi ces entretiens étaient enrichissants, cela vient d'un tout, la rencontre, l'histoire des Syriens, leur façons de raconter leurs expériences...


5- Est-ce que ces témoignages ont modifié ou apporté du nouveau à votre regard au sujet de la Syrie, les Syriens et le conflit actuel ? 


F. C. : Les entretiens ont modifié ma vision du conflit, car celle-ci était biaisée par la version des médias, focalisée sur Daech. De plus, les personnes que nous avons interrogées ont vraiment manifesté une volonté de témoigner, de raconter ce qui se passe vraiment en Syrie (par exemple quelques personnes ont insisté sur la dimension initialement pacifique de la révolution, ou sur la violence du régime de Bachar Al-Assad). Le fait d'entendre ces discours fait prendre conscience de la réalité des événements, bien plus que les informations des médias qui se contentent de comptabiliser le nombre de morts de façon déshumanisante. Je comprends beaucoup mieux la situation désormais, et m'en sens plus proche après avoir écouté les réfugiés.

M. A. : Oui, ne serait-ce qu’en me rappelant qu’il est toujours actuel. Le traitement médiatique ne peut pas toujours rendre compte de la complexité de ce conflit, et la vision tronquée que j’en avais a été remodelée. Par ailleurs, ces entretiens ont été l’occasion de personnifier le conflit, ce qui constitue un élément majeur : une guerre prend une dimension différente lorsque l’on dialogue avec ceux qui l’ont vécue. Le conflit a pris dans mon esprit une acuité nouvelle, non pas celle de l’intensité des combats et de la complexité des enjeux et des causes, mais bien une force humaine. Ces entretiens ont permis d’incarner le conflit.

C-A. R. : La rencontre avec les Syriens m’a d’abord permis de mettre des visages sur une réalité. Désormais quand j’entends parler de la situation en Syrie cela ne me paraît plus désincarné. De plus durant ces entretiens nous avons rencontré différents Syriens, de différentes tranches d’âge ; cela m’a permis de comprendre plus la véritable situation en Syrie car il s’agit de témoignage direct, de personnes qui ont directement vécu le conflit.

J. BT. : Les enquêtés ont beaucoup insisté sur le fait que les médias ne traduisaient pas bien la situation actuelle en Syrie et leur point de vue m'a permis d'avoir une approche plus critique et peut-être plus complète sur la situation du pays.


6- Est-ce que vous avez rencontré des difficultés particulières lors de la réalisation de ces entretiens ?


F. C.
 : La principale difficulté était d'adopter une posture neutre dans le cadre d'une démarche sociologique, le contexte étant très éprouvant. Cela dit, l'ambition de notre professeur était aussi de nous engager dans une démarche citoyenne, ce que ces entretiens ont aussi pu favoriser.

M. A. : Je n’ai pas rencontré de réelles difficultés, si ce n’est celle du détachement émotionnel. Il faut, lors de l’entretien, réussir un double exercice : être soi-même et sensible, tout en conservant une rigueur scientifique. Il est parfois difficile d’orienter l’entretien vers une direction qui a été convenue avec l’équipe alors qu’on a envie de creuser une petite question qui nous tient à cœur personnellement car elle nous a marqué.

C-A. R. : J’avais des appréhensions au début surtout du fait de la barrière de la langue, mais en réalisant le premier entretien à l’aide d’une interprète, j’ai vu qu’en fait c’était tout à fait possible.

J. BT. : Le premier entretien était particulièrement difficile émotionnellement dans la mesure où ce n'est pas pareil de lire/voir un témoignage dans les médias que d'avoir une personne en chair et en os raconter son histoire. De plus, il est difficile de garder la neutralité nécessaire à l'entretien face à certains récits.


7- D'une manière très spontanée, quels seraient les premiers mots qui viennent à votre esprit suite à la rencontre de ces réfugiés syriens ? Auriez-vous envie de leur adresser un petit message ?


F. C. : J'aimerais remercier les réfugiés syriens qui nous ont accueillies, nous ont donné de leur temps, et ont accepté de nous livrer leurs souvenirs aussi violents et personnels soient-ils. Cette expérience m'a énormément touchée. Le défi des réfugiés et du collectif Toulouse Syrie Solidarité de faire lumière sur les événements en Syrie est réussi car mes camarades et moi resterons durablement marquées par ces récits.

M. A. : Courage, espoir et lutte ! J’aimerais leur dire à quel point je les admire, que je m’identifie à leurs sentiments bien qu’on ne puisse sans doute en mesurer l’intensité qu’en les vivant. Si vous avez l’occasion de partager votre récit, faites-le, il faut faire vivre la mémoire. Et merci pour avoir accepté de le faire avec nous. 

C-A. R. : Rencontrer  ces réfugiés syriens m’a vraiment enrichie personnellement au delà du travail sociologique. Toutes les personnes que nous avons rencontrées ont été formidables.
Je les remercie sincèrement d’avoir partagé leurs histoires de vie avec nous avec toute la difficulté que cela implique, j’ai personnellement ressenti cela comme un cadeau ou plutôt comme un flambeau qu’on doit continuer à passer ; c’est pourquoi je continue à m’informer sur la situation en Syrie et que je continue d’en parler autour de moi.

J. BT. : Dur, enrichissant, unique.
Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé et bonne chance pour l'avenir en France, en Syrie ou ailleurs !






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mercredi 3 juin 2015

دراسة عن الذاكرة عند اللاجئين السوريين - طلاب كلية العلوم السياسية في تولوز/ ورشة عمل في مادة علم الإجتماع

لمهاجرُ غائبٌ بصورة مزدوجة : غائبٌ عن المكان الذي أتى منه وغائبٌ عن المكان الذي وصل إليه." بيير بورديو

قامت مجموعة من طلاب كلية العلوم السياسية في تولوز وضمن ورشة عمل في مادة علم الاجتماع، بدراسة عن الذاكرة عند المهاجرين. وخصّصت الدراسة العمل على وضع بعض المهاجرين الإسبان المقيمين في تولوز منذ زمنٍ بعيد ، وعلى وضع بعض اللاجئين السوريين في تولوز. وذلك بالتعاون مع مجموعتنا (مجموعة التضامن تولوز - سوريا ) حيث كنّا نقوم بصلة الوصل بينهم وبين بعض اللاجئين واللاجئات وعائلاتهم.

اعتمدت الدراسة على محورين : مراجع نظرية وأبحاث عن الهجرة ، ولقاءات مع المهاجرين ضمن حوارات نصف موجهة، استمرت ساعتين أو أكثر مع كل شخص أو عائلة.
ينتمي المشاركون من اللاجئين السوريين إلى أجيالٍ مختلفة، وتتراوح أعمارهم بين الستة عشر عاماً والخمسين عاماً تقريباً. 
وجميعهم يعيش في تولوز منذ فترة تتراوح بين العام والعامين.

تُشكل هذه الدراسة حسب تقديرنا وثيقة هامة تتناول نقاطاً أساسية عن لجوء السوريين الحالي. وقد يكون لها أهمية في تأريخ قسم من حياة السوريين في المنفى غير المختار غالباً. فقد خرجوا من البلد بدون رغبة حقيقية في الهجرة. خرجوا خوفاً من الموت والاعتقال والجوع.

نحاول هنا تقديم خلاصة عن هذه الدراسة المؤلفة من 14 صفحة تقريباً. وذلك من خلال خطوطها العريضة. 

كل الجمل التي وُضعت بلون غير الأسود هي استشهادات من الدراسة.

تم نشر الدراسة بأكملها باللغة الفرنسية على مدونة مجموعتنا  على الرابط التالي ،وسوف يتبعها لقاء مع الطالبات اللواتي قمن بهذه الدراسة.

http://toulousesyriesolidarite.blogspot.fr/2015/06/le-migrant-est-absent-au-lieu-dorigine_1.html

كل الشكر لطالبات كلية العلوم السياسية
Fanny COLLARD - Marie ANIERE  - Judith BLIGNY-TRUCHOT et Coralie-Anne RAMDIALE

والشكر الجزيل لبدر الدين عرودكي لمراجعته للترجمة العربية.
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تُشير الدراسة إلى العلاقة الوطيدة بين الذاكرة الفردية والذاكرة الجماعية في إطار الحروب والأزمات كتلك التي يعيشها الشعب السوري.
يمكن للذاكرة الفردية على رغم تعلقها بالحيّز الحميمي والخاص بحياة كل شخص، أن تُكتب في الحيّز العام وأن تكون مقدمة لتكوين الذاكرة الجماعية التي يمكن تناقلها.
تسمح الصفة الحديثة لهجرة السوريين بدراسة البناء المتقطع لسيرة الذاكرة ، وبتحليل كيف أن قصة حياة مجموعة ما تُبنى ثم تتفكك بصورة آنية وضمن الصدمات التي تعرضت لها الذاكرة

أولاً - شرخ الهوية ومفهوم الغياب المزدوج 

يقول بيير بورديو، في مقدمة لكتاب عبد الملك سياد، " الغياب المزدوج " :
المهاجرُ غائبٌ بصورة مزدوجة : غائبٌ عن المكان الذي أتى منه وغائبٌ عن المكان الذي وصل إليه.


يولد شرخ الهوية من فقدان العلامات الدالة بعد الهجرة الغير مختارة.العلامات الدالة في المنفى تكون هشّة في البداية. تصير الذاكرة متقطعة. ويُشكل مجمل هذه العوامل مايسمى بالغياب المزدوج الذي يتحدث عنه بيير بورديو. 

 الرحيل منعطف في حياة الأشخاص الذين حاورناهم. وهذا المنعطف يجعل هويتهم محور تساؤل. ذاكرة الماضي لاتفارق الحاضر ، ولكن حياة المهاجرين لم تعد نفسها. تتحدث إحدى العائلات السورية التي التقيناها كيف أنهم يتذكرون أغاني فيروز بالكثير من الحنين، تلك الأغاني التي كانوا يسمعونها في سوريا كل صباح. ولكنهم يتحدثون أيضاً عن الصعوبة التي يلقونها في عيش نفس الشيء في حياتهم الجديدة. فهذه العادة فقدت معناها السابق هنا. وكأن حياتهم اليومية معلّقة منذ رحيلهم من سوريا.

 يتجلى فقدان العلامات الدالة أيضاً على الصعيد المهني. فهؤلاء الأشخاص كانت لديهم مهنٌ في سوريا. ولكنهم يجدون صعوبات في الخوض في سوق العمل في فرنسا لأسبابٍ مختلفة.

ثانياً - مفهوم التداخل بين المكان والزمان في تولوز وبين المكان والزمان في سوريا 

هناك حركة ذهاب وإياب فكرية دائمة بين الواقعين اللذيْن يعيشهما اللاجئون السوريون. يعيشون هنا حاضرهم الفرنسي ولكنهم يستمرون بالتواصل مع سوريا سواء مع أقربائهم وأهلهم هاتفياً أو عن طريق الانترنت ، أو بمتابعة الأخبار عمّا يحدث هناك. هذا التداخل بين الواقعين يخلق في بعض الأحيان نوعاً من الانفصال الذي يؤثر على قصص حياتهم ويغذي في الوقت نفسه الغياب المزدوج.

تقول إحدى السيدات السوريات التي حاورناها : " إن كان جسدي هنا فعقلي بقي في سوريا."
وبصورة إجمالية، ليس المهاجرون الذين يعانون من شعور الغربة في فرنسا والغائبون في الوقت نفسه عن بلدهم الأم، في حصيلة الأمر، لا هنا ولا هناك بصورة كاملة. وعلى هذا النحو تتحقق فكرة الغياب المزدوج التي تحدثنا عنها.


ثالثاً - تولوز كإمكانيةٍ لمرسى جديد 

تصبح مدينة تولوز تدريجياً وعبر الأيام، العلامة الدالة الجديدة للمهاجرين السوريين اللاجئين. 
تحدثت إحدى اللاجئات وبانفعالٍ كبير عن نهر الغارون الذي يذكرها نوعاً ما بنهر بردى في دمشق. ولقد غنّت فيروز في إحدى أغانيها بردى. وهو نهر له قيمة رمزية كبيرة عند سكان مدينة دمشق. من خلال سير حياتهم التي سمعناها، تبدو تولوز وكأن تحتوي شيئاً ما يتماثل مع دمشق ولها مكانٌ خاصٌ جداً في إدراك اللاجئين لمجرى حياتهم منذ مغادرتهم البلد. يصير هذا المكان الجديد تدريجياً علامتهم الدالة الجديدة وفي بعض الأحيان ملجأهم ونقطة الانطلاق لإعادة بناء جديدة للذاكرة.

رابعاً - الرحيل من سوريا كتجربة اقتلاع

لم يرحل السوريون من سوريا باختيارهم. كانوا مجبرين على ترك بلدهم خوفاً من الموت قتلاً أو من الاعتقال أو من الجوع. عاشوا هذا الرحيل كاقتلاعٍ قاسٍ جداً. وعاشوا الهجرة كمنفى مؤلم.
زاد من ألمه كونهم شاركوا في الثورة ضد نظام بشار الأسد. وفي هذا السياق، تبدو شهادة إحدى الفتيات السوريات التي حاورناها مفيدة جداً. فهي تقول : " عندما بدأت الثورة كنتُ أحب بلدي لدرجة أني لم أفكر نهائياً بتركه. لأننا شاركنا بهذه الثورة."
نلاحظ هنا نشوء إحساس بالتخلي مرتبط بغيابهم عن البلد الذي يعيش في حالة حرب. :وتتابع محاورتنا، " لذلك أشعر بالذنب، ، لأني أرى حياتي هنا وأرى كيف يموت الآخرون هناك. هذا يؤلمني جداً." ثم تضيف : " مايؤلمني أنهم لايملكون هناك حظاً حتى بالعيش ... وهو أدنى الحقوق الإنسانية. "

التمزق المعاش بسبب الرحيل القسري، التواصل بين الماضي والحاضر، التداخل الذي تحدثنا عنه، كل هذه النقاط تُشكل عواملاً تمنع التكون الفعلي للذاكرة الفردية عند المهاجرين السوريين. ذاكرتهم متصلة بشكل ضيق بالذاكرة الجماعية للشعب السوري - الذي تحدثوا عنه كثيراً - من خلال عيشهم للثورة السورية.

تبدو الثورة السورية وكأنها منعطفٌ في تاريخ هذا البلد، ولكن هذا صحيح أيضاً بالنسبة لمن شارك بها. 

خامساً - ذاكرة العنف

الذاكرة ، بصورة عامة، انتقائية. وكما يقول أحد الباحثين ( روجية باستيد) الذاكرة هي عملية تركيب وتصليح وترقيع.

نجد أن ذكريات الأحداث العنيفة هي التي تصعد إلى السطح عند المهاجرين السوريين. لكنهم رغم ذلك، ليسوا قادرين على سرد كل الذكريات العنيفة التي عاشوها أو شاهدوها.
عندما يعيش المرء أحداثاً عنيفة جداً، فإن ما لا يمكن وصفه يحتل مساحة كبيرة في الذاكرة.

ينتهي البحث بهذه الملاحظة :

هناك الكثير من التآزر في المبادرات الفردية والجماعية من أجل منافسة الذاكرة الرسمية التي ينقلها الإعلام. في كل لقاءٍ قمنا به تحدث محاورونا عن خيبتهم أمام تعامل الإعلام الفرنسي مع الوضع في سوريا، وتركيزه على داعش، وإهماله الحديث عن شروط حياة المدنيين ومبادراتهم. وأحبّت واحدة من اللاجئات التي التقينا بها أن تُذكرنا أن أول مظاهرات السوريين في ثورتهم كانت سلمية.

lundi 1 juin 2015

Le migrant est « doublement absent, au lieu d'origine et au lieu d'arrivée ».  (Pierre Bourdieu) 1 


Etude sur la mémoire des migrants

Des étudiants à l'Institut d’Études politiques à Toulouse, ont mené, dans le cadre de leurs travaux en atelier de sociologie, une étude sur la mémoire des migrants espagnols et des réfugiés syriens à Toulouse. Cette étude s'est basée sur une série d'entretiens de terrain, avec des migrants espagnols résidant à Toulouse et 4 groupes de réfugiés syriens à Toulouse, de générations différentes allant de jeunes entre 20 ans et 30 ans, jusqu'à des personnes ayant 50 ans. Tous sont arrivés à Toulouse depuis un an ou deux (les réfugiés syriens).

Nous avons servi de relais à cette étude, permettant la mise en place des rencontres et des entretiens avec les réfugiés syriens.

Cette étude constitue à nos yeux un document très important, qui peut servir de base pour d'autres travaux autour de la migration actuelle du peuple syrien, les fractures et la reconstruction de sa mémoire.
C'est pour cela que nous avons tenu à publier cette étude et nous remercions chaleureusement l'initiative des étudiants de l'IEP de Toulouse, et notamment Fanny Collard, Judith Bligny-Truchot, Coralie Ramdiale et Marie Anière.

Nous essayons ici de présenter cette étude en la synthétisant. Mais vous pouvez la lire entièrement dans le fichier joint ici.

- Tous les prénoms des enquêtés ont été changés.

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Cette étude souligne, dans ses grandes lignes le rapport entre la mémoire individuelle et la mémoire collective, dans le cadre précis des conflits politiques, des guerres, qui obligent les populations à la migration, vécue souvent d'une manière très douloureuse. Comment la mémoire individuelle et la mémoire collective sont étroitement articulées, et quels sont les va-et-vient entre les deux :

«  '' Le sentiment que j'ai eu lors du mouvement pour la révolution a été le même que lorsque j'ai donné naissance.'' Cette comparaison recueillie durant nos entretiens marque l'essence de notre recherche : la mémoire, individuelle, qui tout en relavant de l'expérience intime peut s'inscrire dans l'espace public, constitue le préalable à la construction d'une mémoire collective ayant vocation à être transmise. » 2

« Notre démarche d’étude s’est inscrite dans une perspective de comparaison générationnelle et culturelle. Le caractère récent de la migration des Syriens permet d’étudier la construction sporadique du récit de mémoire, et d’analyser comment l’histoire de vie d’un groupe se construit et se défait dans l’immédiateté et le traumatisme de la mémoire. »3

Il ressort de cette étude plusieurs éclairages et axes de travail autour du rapport des migrants syriens à l'identité et à la mémoire. 

1- Fracture identitaire et double-absence :

La fracture identitaire naît de la perte des repères après la migration forcée. Les repères dans le pays d'accueil sont fragiles. Les mémoires sont discontinues. L'ensemble de ces éléments constituent cette forme de double-absence dont parle Bourdieu dans la citation que nous avons reportée ci-haut.

«  l'événement du départ correspond à un virage dans la vie de nos enquêtés, prompt à remettre en question leur identité personnelle. La mémoire du passé hante le présent, mais la vie des migrants n'est en rien la même. Lors de l'entretien, Tayssir, Nawal et leurs deux filles se remémorent avec nostalgie les chants de Fairouz, qu'ils écoutaient les matins en Syrie. Cependant ils expliquent qu'ils ne peuvent plus le faire désormais, cette pratique n'ayant plus le même sens pour eux, comme si leurs quotidiens étaient en quelque sorte suspendus depuis leur départ de Syrie. »4

La perte des repères se manifeste également sur le plan professionnel, car ces personnes qui avaient déjà des professions en Syrie, se trouvent parfois dans l'impossibilité d'exercer leurs métiers, par difficulté d'identification au monde du travail en France où leurs compétences professionnelles peuvent ne pas être reconnues dans le contexte du travail ici.

2- Notion de porosité entre l'espace-temps syrien et le nouvel espace-temps toulousain chez les nouveaux migrants

Il y a un va-et-vient continu entre les deux réalités vécues par les nouveaux migrants syriens. Ils vivent ici leur présent français, mais continuent à avoir des liens avec leurs proches et amis restés en Syrie, et à s'informer de l'actualité des événements via les médias. Cette forme de porosité entre les deux réalités crée parfois une dissociation qui a un impact sur leurs histoires de vie, et qui alimente une forme de double-absence. « Ghiwa (l'une des enquêtés) explique que si son corps est ici, son esprit est en Syrie ». Au total, les migrants, se sentant parfois étrangers en France (…), et absents de leur pays d'origine, ne sont donc ni totalement ici ni totalement ailleurs, et recouvrent ainsi le concept de double absence. »5

3- Toulouse, comme possibilité d'un nouvel ancrage

Toulouse devient au fil des jours le nouveau repère des migrants. Nous pouvons le lire à travers les témoignages comme une histoire qui se construit progressivement.
«Ghiwa a exprimé une grande émotion vis-à vis de la Garonne, car elle lui rappelle le Barada, fleuve principal de Damas près duquel elle vivait en Syrie. Ce fleuve, conté par l'un des chants de Fairouz, a de fait une valeur symbolique et affective pour les Damascènes. Dans les récits de vie, Toulouse semble ainsi constituer le symétrique de Damas, et tient une place tout à fait particulière dans la perception de leur trajectoire par les migrants. Ce territoire devient progressivement leur nouveau repère, parfois un refuge et le point de départ d'une reconstruction mémorielle. »6

Nour (un autre enquêté) déclare : '' Je suis Toulousain '', tout en restant attaché à la Syrie.
L'attachement semble plutôt lié à la ville qu'au pays lui-même.

4- Le départ de la Syrie vécu comme arrachement

Les Syriens ne sont pas partis de la Syrie par choix. Ils ont été forcés à quitter leur pays par peur d'être tués ou arrêtés par le régime. Ces départs forcés sont vécus comme un arrachement dur, et la migration comme un exil douloureux.
« Pour les réfugiés politiques rencontrés, la migration est donc un exil, rendu encore plus difficile par la participation au mouvement de soulèvement contre le régime de Bachar el-Assad. À cet égard, le témoignage de Mirella est éclairant : « quand la révolution a commencé, j'aimais trop mon pays, j'avais pas l'idée de quitter (...) parce que nous, on a participé au mouvement ». Émerge alors un sentiment d'abandon pour certains liée à leur absence du pays en guerre ; « c'est pour ça je me culpabilise parce que je vois comment je fais ma vie ici et les autres ils meurent, ça me fait trop mal », raconte Amale. Elle rajoute : « «Ce qui me fait mal c'est (silence)...eux ils n'ont pas la chance de vivre...avec un minimum de droits »7

En France, ils ont trouvé la notion de la liberté pour laquelle ils se sont battus en Syrie. Cela crée  des sentiments de culpabilisation vis-à-vis de leurs camarades qu'ils ont laissés là-bas.

Le déchirement vécu par le départ forcé, le va-et-vient entre le passé et le présent, cette porosité dont on parlait ci-haut, constituent autant d'éléments qui empêchent la réelle construction d'une mémoire individuelle chez les migrants syriens. Leur mémoire est étroitement imbriquée dans la mémoire collective du « peuple syrien » dont ils parlent souvent, via le vécu de la Révolution.
« La révolution en Syrie paraît être un tournant dans l'histoire de ce pays, mais cela vaut aussi pour l'histoire personnelle des acteurs, dont le récit reflète cette fracture, et celle liée au départ. »8

5- Mémoire de la violence

La mémoire est sélective. Elle est le fruit d'un « bricolage » selon les termes de Roger Bastide. 9
Ainsi, chez les migrants syriens, « ce sont les souvenirs violents qui remontent en premier. Quand, lors de l'entretien collectif avec sa famille, Nawal prend la parole pour nous raconter ses souvenirs, le premier qui remonte à la surface est celui de la fois où le minibus dans lequel elle se trouvait est assailli par les balles, dont une est reçue par une femme assise à côté d’elle.»10
Cependant, ils ne peuvent pas évoquer tous les souvenirs violents qu'ils ont vus ou vécus. « Lorsque l'individu a vécu des violences extrêmes, l'indicible prend une part importante dans la mémoire. »11


L'étude se termine par ce constat : l'existence d' « une synergie des initiatives individuelles et collectives pour concurrencer la mémoire officielle véhiculée par les médias. Dans chacun des entretiens réalisés, les enquêtés font part de leur déception vis-à-vis du traitement français de la situation en Syrie par les médias, trop centré sur Daech, biaisé, et négligeant les conditions de vie et les initiatives des civils. Amale tient ainsi à nous rappeler que les premières manifestations et révoltes des Syriens étaient pacifiques. »12

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1- Pierre Bourdieu, dans la préface à l'ouvrage de de Abdelmalek SAYAD : «  La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré », Seuil, 1999. 
2,3 - Etude, page 1. 
4- Idem, pages 6-7. 
5,6- Idem, page 7. 
7- Idem, page 8. 
8- Idem, page 9.
9-  BASTIDE Roger, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », Paris, dans L'Année Sociologique vol.21, p.65-108, 1970.
10,11, 12 - Etude page 10.